La France se désindustrialise… la route vers l’Argentine

16 Mars 2010
Morad El Hattab et Philippe Jumel



De 1980 à 2007, l’emploi industriel a sombré de 5,4 à 3,4 millions. Certes sur les 2 millions d’emplois perdus, 500 000 s’expliquent par une requalification vers les services. Il en reste tout de même un trou de 1,5 millions. Or, avec 12,2 % des emplois dans l’industrie, la France est moins industrielle que l’Italie et que le Royaume-Uni. Dans le commerce extérieur, ce ne sont pas les services qui font les fins de mois, mais surtout l’industrie et un peu l’agriculture.

La descente aux enfers de notre industrie s’explique par la surévaluation de l’Euro et sa conséquence : la déflation (la diminution des prix, des salaires, des prestations sociales et du budget de l’Etat.)
A Londres, les économistes sont libres, ils parlent, et au moins dans le Financial Times, ils donnent la réponse. Ainsi le chroniqueur Martin Wolf qualifie la zone Euro d’"union monétaire qui mène la politique monétaire la plus sévère de toute économie importante.

L’Allemagne étouffe les autres pays de la zone Euro

De plus, l’Allemagne étouffe les autres pays de la zone Euro sous une politique d’exportations digne de Colbert. Elle consiste à vendre sans acheter. C’est la politique de désinflation compétitive du socialiste Gerhard Schröder. La concurrence de l’Allemagne est donc sans pitié pour le reste de l’Europe. Ainsi, les coûts de travail par rapport à l’Allemagne se sont accrus depuis 10 ans de 17% en France et de 23% en Italie.

Il en résulte pour l’Allemagne un surplus de balance commerciale de 135,8 milliards d’euros en 2009, contre des déficits de 54,6 milliards d’euros pour la France et de 92,6 milliards d’euros pour le Royaume-Uni. Martin Wolf conclut : "Aussi longtemps que la BCE tolère une aussi faible demande à l’intérieur de l’Eurozone dans son ensemble et que l’Allemagne continue à réaliser de vastes excédents commerciaux, il sera quasiment impossible pour les membres les plus faibles d’échapper aux pièges à insolvabilité."

Le Professeur De Grauwe de l’Université de Louvain (par ailleurs, conseiller du Président Barroso) est très clair : "Au cours des années 1930, les pays du bloc or (dont la France) ont lié leurs monnaies à l’or. Après les dévaluations monétaires du Royaume-Uni et des Etats-Unis, les pays du bloc or se sont retrouvés avec des monnaies surévaluées. Ainsi leurs exportations ont été réduites et la Dépression a été prolongée."

Il est remarquable de constater que les mêmes erreurs sont répétées aujourd’hui dans certains des mêmes pays comme pendant les années 1930. Leur monnaie, l’Euro, devient fortement surévaluée, pendant que, comme dans les années 1930, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont aujourd’hui laissé leurs monnaies se déprécier de façon significative. La Livre Sterling s’est dépréciée de 30% et le Dollar de 20%. Pourquoi les pays de la zone Euro répètent les mêmes politiques que les pays du bloc or dans les années 1930 ? La réponse est l’orthodoxie économique.

Dévaluation interne : baisses coordonnées et immédiates de 10% à 30% des prix et des salaires

Ainsi le Professeur Jacques Delpla, membre du CAE (Conseil d’Analyse Economique) reprend les propositions d’Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI. Les gouvernements devraient imposer une "dévaluation interne" avec des baisses coordonnées et immédiates de 10% à 30% des prix, salaires, pensions et transferts sociaux. C’est ce que le Pr. Jacques Delpla qualifie de "dévaluation sans dévaluation de la monnaie" et de "solution keynésienne".

Or, la politique proposée par les Professeurs Jacques Delpla et Olivier Blanchard ont eu leurs précédents dans les années 1930. En 1932, le gouvernement australien a imposé des baisses autoritaires des prix et des salaires de 20%. En 1935, en France, le gouvernement Pierre Laval a imposé des baisses autoritaires des prix et des salaires de 10%. Cette politique est restée célèbre sous le nom donné par le Prix Nobel d’Economie Alfred Sauvy de "Déflation Laval".

Mais la déflation par les prix entraîne la réduction des revenus des entreprises, et comme les actifs représentent un multiple des revenus des entreprises, ils baissent de même. Or, "les actifs s’évaporent, les dettes s’accrochent", donc les actifs baissent avec les prix, tandis que les dettes demeurent, c’est ce que le Pr. Irving Fisher de l’Université de Harvard a qualifié de "déflation par la dette".

La route vers la déflation

La situation aujourd’hui, c’est une monnaie, l’Euro, restée surévaluée après les dévaluations de 30% de la livre sterling et de 20 % du dollar. C’est une hausse des coûts de production de 17 % par rapport à l’Allemagne et comme remède la baisse autoritaire des prix et des salaires de 10 à 30 % proposée par les Pr. Delpla et Blanchard, c’est donc le retour à la déflation Laval de 1935.

Cela s’appelle la route de la déflation, il en résulte la désindustrialisation, et à l’arrivée ce sera l’Argentine dont le revenu par habitant était plus élevé qu’en France en 1938, il est tombé depuis à 20 %... La solution avait été réalisée en 1938 : la dévaluation du Franc par Paul Reynaud (ministre français des finances en 1938). Mais aujourd’hui, la solution correspondante est contraire à l’orthodoxie des actuels économistes européens.

Morad El Hattab et Philippe Jumel, les auteurs de ce texte, ont coécrit, en 2008, La finance mondiale : Tout va exploser.

Morad El Hattab et Philippe Jumel