Grande figure de la société de consommation des 30 glorieuses (période que les économistes ont qualifiée de manière évocatrice de « fordiste »), symbole de la démocratisation de la consommation, support imaginaire de l’idéal de liberté individuelle, d’évasion, de bonheur… l’automobile est progressivement devenue synonyme de contraintes, de galères liées au temps perdu dans les embouteillages, aux difficultés de stationnement, d’un budget croissant englouti dans le réservoir d’essence, mais aussi d’émission de Co2, de pollution sonore…
Bref, le rapport des Français à l’automobile est en train de changer, alors même que les enjeux du développement durable invitent à réviser en profondeur le type de mobilité autour duquel les sociétés occidentales se sont organisées. Ces évolutions annoncent-elles la « fin » de l’automobile ? La grave crise que le secteur a traversé en 2008-2009 - que la prime à la casse a permis d’enrayer - est-elle annonciatrice d’un déclin programmé ?
Pas si simple… Peut-être, au contraire, l’automobile est-elle en train d’entamer une nouvelle étape de son histoire. Elle pourrait alors devenir le laboratoire de nouveaux modèles de consommation, non plus fondés sur la propriété, mais directement sur l’usage. Modèles qui pourraient progressivement, sous des formes diverses, s’étendre bien au-delà de l’automobile et être porteur d’une formidable opportunité pour le capitalisme de trouver les voies d’une conciliation entre croissance de l’activité pour les entreprises, meilleure satisfaction des attentes des consommateurs et respect des impératifs du développement durable.
Bref, le rapport des Français à l’automobile est en train de changer, alors même que les enjeux du développement durable invitent à réviser en profondeur le type de mobilité autour duquel les sociétés occidentales se sont organisées. Ces évolutions annoncent-elles la « fin » de l’automobile ? La grave crise que le secteur a traversé en 2008-2009 - que la prime à la casse a permis d’enrayer - est-elle annonciatrice d’un déclin programmé ?
Pas si simple… Peut-être, au contraire, l’automobile est-elle en train d’entamer une nouvelle étape de son histoire. Elle pourrait alors devenir le laboratoire de nouveaux modèles de consommation, non plus fondés sur la propriété, mais directement sur l’usage. Modèles qui pourraient progressivement, sous des formes diverses, s’étendre bien au-delà de l’automobile et être porteur d’une formidable opportunité pour le capitalisme de trouver les voies d’une conciliation entre croissance de l’activité pour les entreprises, meilleure satisfaction des attentes des consommateurs et respect des impératifs du développement durable.
Le rapport à l'auto est en train de changer
Le rapport que les Français ont à l’automobile est en train, lentement, d’évoluer. La voiture est en passe d’être désacralisée. L’Ifop a réalisé en mai 2010 une enquête très intéressante qui permet de préciser les choses. Retenons quelques résultats significatifs. Lorsqu’on leur demande le mot qui représente le mieux la voiture, seulement 18 % des Français évoquent spontanément le thème de la liberté. Un net effet d’âge est ici en jeu. Si cette proportion atteint jusqu’à 25 % chez les 65 ans et plus, elle n’est que de 10 % chez les moins de 35 ans. C’est par le bas de la pyramide des âges que le changement de mentalité se produit… La voiture s’éloigne de plus de plus des imaginaires auxquels les jeunes sont sensibles. L’idéal de liberté que la mobilité automobile a incarné pour leurs ainés, se trouve aujourd’hui supplanté par un idéal de mobilité dans le cyberespace et les réseaux sociaux. Le iPhone avant la voiture…
La même enquête révèle que la voiture est de plus en plus perçue d’abord sous l’angle de ses fonctionnalités. A la question « pour vous, la voiture c’est avant tout… », 47 % des Français répondent « un moyen de transport, une commodité », contre 40 % qui optent pour « la liberté, l’autonomie dans les déplacements », et seulement 3 % qui choisissent « un plaisir »… Dans le même mouvement, la voiture a beaucoup perdu de sa fonction ostentatoire, d’affirmation de sa réussite, de marqueur du milieu social… Il y a seulement quelques années de cela, Mercédès pouvait encore placarder une affiche mettant en scène un quadra contemplant un modèle de la gamme avec pour légende « pourquoi attendre ? »... Aujourd’hui, le cadre dynamique ne craint plus de se déplacer dans une petite cylindrée. La Logan n’est pas achetée uniquement par les Français de milieux modestes.
Pourquoi ce désenchantement ? Les causes sont aisément identifiables. Intervient d’abord le coût d’usage de l’automobile. Ce poste représente environ 12 % du budget des ménages. C’est considérable. Ca l’est d’autant plus que le pouvoir d’achat est déprimé et que les nouveaux besoins (nouvelles envies) sont nombreux du côté des biens et des services issus des nouvelles technologies. Alors, on hiérarchise ses priorités et on arbitre. La voiture fait partie des victimes de ces arbitrages, notamment parce que son usage est de moins en moins associé à des facteurs d’utilité à mesure qu’il s’accompagne de nuisances en termes de temps perdu, de stress… mais aussi du sentiment de contribuer au réchauffement climatique.
Dès lors, l’usage de l’automobile tend à reculer. Selon les données communiquées par le Comité Français des Constructeurs Automobiles, le nombre moyen de kilomètres parcourus par an par les automobilistes, qui était en croissance jusqu’en 1995, diminue régulièrement depuis (11 800 km en 2009 conte 14 000 en 1995). La progression du parc d’automobiles a permis que le trafic de véhicules particuliers continue de progresser jusqu’en 2003. Il est en diminution depuis. Une enquête réalisée par L’Internaute en 2009 révélait que 52 % des automobilistes déclaraient utiliser de moins en moins leur voiture depuis ces deux dernières années.
Le désinvestissement des Français à l’égard de l’automobile se manifeste également dans l’augmentation de l’âge moyen des véhicules en service (8,2 ans aujourd’hui, contre 5,9 ans en 1990), l’accroissement de la durée de détention moyenne (4,9 ans contre 3,7 ans en 19990), la progression de la part des véhicules d’occasion dans les ventes totales d’automobiles (50 % en 1990, 62 % en 2008 (mais 59,6 en 2009 en raison de la prime à la casse), le recul du prix moyen des véhicules achetés avec la croissance de la part de marché des véhicules de gamme inférieure ou moyenne…
La même enquête révèle que la voiture est de plus en plus perçue d’abord sous l’angle de ses fonctionnalités. A la question « pour vous, la voiture c’est avant tout… », 47 % des Français répondent « un moyen de transport, une commodité », contre 40 % qui optent pour « la liberté, l’autonomie dans les déplacements », et seulement 3 % qui choisissent « un plaisir »… Dans le même mouvement, la voiture a beaucoup perdu de sa fonction ostentatoire, d’affirmation de sa réussite, de marqueur du milieu social… Il y a seulement quelques années de cela, Mercédès pouvait encore placarder une affiche mettant en scène un quadra contemplant un modèle de la gamme avec pour légende « pourquoi attendre ? »... Aujourd’hui, le cadre dynamique ne craint plus de se déplacer dans une petite cylindrée. La Logan n’est pas achetée uniquement par les Français de milieux modestes.
Pourquoi ce désenchantement ? Les causes sont aisément identifiables. Intervient d’abord le coût d’usage de l’automobile. Ce poste représente environ 12 % du budget des ménages. C’est considérable. Ca l’est d’autant plus que le pouvoir d’achat est déprimé et que les nouveaux besoins (nouvelles envies) sont nombreux du côté des biens et des services issus des nouvelles technologies. Alors, on hiérarchise ses priorités et on arbitre. La voiture fait partie des victimes de ces arbitrages, notamment parce que son usage est de moins en moins associé à des facteurs d’utilité à mesure qu’il s’accompagne de nuisances en termes de temps perdu, de stress… mais aussi du sentiment de contribuer au réchauffement climatique.
Dès lors, l’usage de l’automobile tend à reculer. Selon les données communiquées par le Comité Français des Constructeurs Automobiles, le nombre moyen de kilomètres parcourus par an par les automobilistes, qui était en croissance jusqu’en 1995, diminue régulièrement depuis (11 800 km en 2009 conte 14 000 en 1995). La progression du parc d’automobiles a permis que le trafic de véhicules particuliers continue de progresser jusqu’en 2003. Il est en diminution depuis. Une enquête réalisée par L’Internaute en 2009 révélait que 52 % des automobilistes déclaraient utiliser de moins en moins leur voiture depuis ces deux dernières années.
Le désinvestissement des Français à l’égard de l’automobile se manifeste également dans l’augmentation de l’âge moyen des véhicules en service (8,2 ans aujourd’hui, contre 5,9 ans en 1990), l’accroissement de la durée de détention moyenne (4,9 ans contre 3,7 ans en 19990), la progression de la part des véhicules d’occasion dans les ventes totales d’automobiles (50 % en 1990, 62 % en 2008 (mais 59,6 en 2009 en raison de la prime à la casse), le recul du prix moyen des véhicules achetés avec la croissance de la part de marché des véhicules de gamme inférieure ou moyenne…
On ne tourne pas si facilement la page de la société de l'automobile
Est-ce que tout ceci témoigne d’une rupture susceptible de conduire à la « mort » de l’automobile ? Bien sûr que non… Tout au plus une inversion de tendance, susceptible de conduire à une lente diminution du parc automobile – ce qui constituerait déjà une première dans l’histoire de cette industrie. Cela parce que l’automobile a encore des atouts dans son jeu.
Le premier est que, en dépit des progrès réalisés par les transports collectifs, l’automobile demeure le mode de transport le plus en phase avec les valeurs individualistes de la société hypermoderne. L’individu contemporain, plus que jamais, exprime un désir de puissance, d’autonomie, de maîtrise du temps, de l’espace, des circonstances. La flexibilité d’usage qu’offre l’automobile ne trouve de concurrence sérieuse que du côté des deux roues motorisés mais qui souffre d’importants handicaps par ailleurs. L’automobile continue donc de bénéficier d’un substrat sociologique favorable.
Le deuxième atout de l’automobile se trouve dans la géographie. Les dernières décennies ont été marquées par un mouvement d’étalement urbain qui a fait qu’une fraction croissante de la population (et depuis peu, des emplois) vit hors des villes centres, dans les espaces périphériques, voire périurbains. Dans ces espaces (pour ne pas parler des zones rurales), les transports collectifs sont défaillants et l’usage de l’automobile est souvent indispensable à la vie quotidienne (mobilité vers le travail, vers le commerce, vers les activités de loisir…).
Tourner la page de l’automobile, vendre sa voiture pour adopter les transports collectifs ou la bicyclette, est un comportement d’urbains, voire d’habitants des grandes métropoles. Une large fraction de la population est prisonnière de l’automobile. Et elle le restera longtemps tant que les fondamentaux de la géographie résidentielle ne se seront pas retournés.
Le premier est que, en dépit des progrès réalisés par les transports collectifs, l’automobile demeure le mode de transport le plus en phase avec les valeurs individualistes de la société hypermoderne. L’individu contemporain, plus que jamais, exprime un désir de puissance, d’autonomie, de maîtrise du temps, de l’espace, des circonstances. La flexibilité d’usage qu’offre l’automobile ne trouve de concurrence sérieuse que du côté des deux roues motorisés mais qui souffre d’importants handicaps par ailleurs. L’automobile continue donc de bénéficier d’un substrat sociologique favorable.
Le deuxième atout de l’automobile se trouve dans la géographie. Les dernières décennies ont été marquées par un mouvement d’étalement urbain qui a fait qu’une fraction croissante de la population (et depuis peu, des emplois) vit hors des villes centres, dans les espaces périphériques, voire périurbains. Dans ces espaces (pour ne pas parler des zones rurales), les transports collectifs sont défaillants et l’usage de l’automobile est souvent indispensable à la vie quotidienne (mobilité vers le travail, vers le commerce, vers les activités de loisir…).
Tourner la page de l’automobile, vendre sa voiture pour adopter les transports collectifs ou la bicyclette, est un comportement d’urbains, voire d’habitants des grandes métropoles. Une large fraction de la population est prisonnière de l’automobile. Et elle le restera longtemps tant que les fondamentaux de la géographie résidentielle ne se seront pas retournés.
Jeter l'eau du bain sans jeter le bébé ?
Alors, est-il possible de repenser l’automobile sans la vouer aux gémonies ? Oui, sans doute, si l’on accepte de la penser sur le mode de l’usage avant de la penser comme un produit. La plupart des voitures passent beaucoup plus de temps au parking ou le long des trottoirs que sur la route…
Les choses bougent en la matière. Après des débuts laborieux, souvent cantonnés aux milieux associatifs militants, l’autopartage se développe. Sous une forme ou sous une autre, il a commencé à intéresser des acteurs puissants, tels qu’Avis, Vinci, Hertz ou Veolia, qui ont la puissance de feu nécessaire pour faire décoller le marché. Autolib’, construit sur le modèle du Vélib’, est dans les tuyaux et est déjà expérimenté grandeur nature à Lyon.
Le covoiturage lui aussi se développe, quelquefois avec le soutien des employeurs, des collectivités locales, voire de certaines enseignes de distribution, telles que Géant ou Ikea.
Les constructeurs automobiles eux-mêmes, ébranlés par la crise de 2008-2009, ont fini par admettre les limites d’un modèle quantitatif dans lequel leur prospérité dépend de manière cruciale du nombre de véhicules vendus. Très progressivement (et bien tardivement), ils entament leur mue d’un rôle de vendeur de voitures à celui d’apporteur de solutions de mobilité. Il y a quelques mois, Peugeot ouvrait une brèche en lançant son programme « mu » : les clients créditent un compte de mobilité qui les autorise à mobiliser, selon leur besoin, une petite voiture urbaine, un monospace… ou encore une bicyclette ou un scooter.
L’automobile pourrait donc ainsi devenir un secteur fer de lance dans la promotion d’une économie des effets utiles (ou économie de l’usage, ou encore économie de la fonctionnalité… la terminologie n’est pas encore bien arrêtée). Elle aura cependant à vaincre une résistance sociétale : l’envie de posséder. Mais là encore, les choses sont en train de changer.
Les choses bougent en la matière. Après des débuts laborieux, souvent cantonnés aux milieux associatifs militants, l’autopartage se développe. Sous une forme ou sous une autre, il a commencé à intéresser des acteurs puissants, tels qu’Avis, Vinci, Hertz ou Veolia, qui ont la puissance de feu nécessaire pour faire décoller le marché. Autolib’, construit sur le modèle du Vélib’, est dans les tuyaux et est déjà expérimenté grandeur nature à Lyon.
Le covoiturage lui aussi se développe, quelquefois avec le soutien des employeurs, des collectivités locales, voire de certaines enseignes de distribution, telles que Géant ou Ikea.
Les constructeurs automobiles eux-mêmes, ébranlés par la crise de 2008-2009, ont fini par admettre les limites d’un modèle quantitatif dans lequel leur prospérité dépend de manière cruciale du nombre de véhicules vendus. Très progressivement (et bien tardivement), ils entament leur mue d’un rôle de vendeur de voitures à celui d’apporteur de solutions de mobilité. Il y a quelques mois, Peugeot ouvrait une brèche en lançant son programme « mu » : les clients créditent un compte de mobilité qui les autorise à mobiliser, selon leur besoin, une petite voiture urbaine, un monospace… ou encore une bicyclette ou un scooter.
L’automobile pourrait donc ainsi devenir un secteur fer de lance dans la promotion d’une économie des effets utiles (ou économie de l’usage, ou encore économie de la fonctionnalité… la terminologie n’est pas encore bien arrêtée). Elle aura cependant à vaincre une résistance sociétale : l’envie de posséder. Mais là encore, les choses sont en train de changer.
Un objectif de politique publique
En mars 2009, dans le cadre de l’enquête Crédoc-eBay, 71 % des Français ont déclaré leur accord avec l’affirmation « aujourd'hui, l'important c'est de pouvoir utiliser un produit plus que de le posséder ». Les jeunes sont ici aussi en pointe. (82,7 % chez les 18-24 ans, 55,4%% chez les 75 ans et plus). Evidemment, il s’agit de déclarations, et exprimées face à une proposition très générale. Qu’en est-il de l’automobile, alors que l’on a souvent représenté le Français moyen comme très jaloux de la propriété de sa voiture ? L’enquête de L'Internaute réalisée en septembre 2009 vient quelque peu tempérer l’optimisme : seulement 20 % des automobilistes pourraient éventuellement opter pour la location, et 26 % sont intéressés par l'autopartage. Une affaire de verre à moitié vide ou de verre à moitié plein…
En tout état de cause, favoriser le mouvement, la bascule vers un autre modèle de consommation de mobilité automobile, devrait devenir un objectif de politique publique. Pour faire face aux enjeux du développement durable d’abord (car, que sera la planète si rien ne change et que notre modèle de consommation de l’automobile devait se généraliser dans les pays émergents ?). Pour améliorer la vie quotidienne des Français ensuite, notamment en milieu urbain. Enfin, pour refonder la compétitivité de l’industrie automobile française, pour l’aider à prendre une longueur d’avance dans une refondation qui paraît inévitable à un terme plus ou moins rapproché.
Professeur d’économie à l’Université Paris-Diderot, Philippe Moati est aussi directeur de recherche au Credoc. Ses recherches portent sur la compréhension des transformations du système productif. Il est un spécialiste de la distribution et des comportements de consommation.
Pour lire un autre article sur le secteur automobile, cliquez-ici.
En tout état de cause, favoriser le mouvement, la bascule vers un autre modèle de consommation de mobilité automobile, devrait devenir un objectif de politique publique. Pour faire face aux enjeux du développement durable d’abord (car, que sera la planète si rien ne change et que notre modèle de consommation de l’automobile devait se généraliser dans les pays émergents ?). Pour améliorer la vie quotidienne des Français ensuite, notamment en milieu urbain. Enfin, pour refonder la compétitivité de l’industrie automobile française, pour l’aider à prendre une longueur d’avance dans une refondation qui paraît inévitable à un terme plus ou moins rapproché.
Professeur d’économie à l’Université Paris-Diderot, Philippe Moati est aussi directeur de recherche au Credoc. Ses recherches portent sur la compréhension des transformations du système productif. Il est un spécialiste de la distribution et des comportements de consommation.
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