Le D Day... Le Draghi Day...

7 Septembre 2012
Charles Sannat



Hier c'était le jour J, le D Day comme disent les Anglo-Saxons. D pour Draghi bien sûr, Mario Draghi, le Gouverneur de la Banque Centrale Européenne (BCE). Alors que j'écris ces lignes...Mario Draghi parle, et les tractations se poursuivent entre les États pour trouver le plus petit dénominateur commun, et laisser la marge de manœuvre nécessaire à la BCE pour imprimer des billets à la hauteur de "juste ce qu'il faut".

Seule la BCE peut éteindre l'incendie

Charles Sanna, directeur des études économiques d'AuCOFFRE.com
Les autorités monétaires européennes sont désormais obligées d'intervenir. Le problème n'étant plus de savoir s'il le faut, mais comment le faire. Comment le faire, en respectant le mandat de la BCE et l'objectif allemand de maîtrise de l'inflation, qui ont une peur panique de la création monétaire débridée depuis l'époque de la République de Weimar qui déboucha sur l'avènement du nazisme et la ruine de l'Allemagne.

Comment le faire, en sauvant l'euro, et en permettant aux pays du Sud en plein marasme (avec en ligne de mire bien entendu l'Espagne et l'Italie) de s'en sortir au mieux. Comme nous l'avons toujours dit et affirmé, le FESF ou le MES, les mécanismes de sauvetage prévus, ne seront pas suffisants pour ces deux pays. Ils sont donc fondamentalement inutiles et ne serviront pas. Compte tenu des sommes en jeu, seule la BCE peut, en créant de la monnaie en quantité suffisante, permettre d'éteindre l'incendie qui menace d'emporter l'ensemble de la construction européenne de ces 60 dernières années. Pour le moment, les marchés donnent crédit à la stratégie d'intervention massive annoncée hier par la Banque Centrale Européenne.

Des rachats d'obligations sans limite de montant

Mario Draghi, en s'appuyant sur l'article 18 des statuts de la BCE, lance un programme de rachat d'obligations illimité sur des échéances allant jusqu'à trois ans. Cette maturité relativement courte recueillerait l'assentiment de notre partenaire allemand puisque cela permet de cadrer la création monétaire dans le temps. Le président de la Bundesbank, quant à lui, resterait farouchement opposé à ce changement radical de politique monétaire, et son gouverneur, Jens Weidmann, devrait démissionner dans la foulée afin de protester contre cette décision.

Mais ce n'est pas tout, la BCE renonce également à son statut de créancier privilégié pour ces achats d'obligations... Ce qui signifie en clair qu'elle accepterait de ne jamais être remboursée de ses créances... Au bout du chemin il faudra choisir entre renflouer la BCE (qui possède un bilan comme n'importe quelle banque), ou lui autoriser la création monétaire pure correspondante. En contrepartie, des conditions strictes seront demandées aux pays qui feront appel à l'aide de la BCE (Italie et Espagne) et l'intervention de la BCE d'une rigueur budgétaire sans faille. Cependant, à ce jour les modalités concrètes d'application de ce plan n'ont pas été dévoilées, ce qui illustre les tensions politiques toujours à l'œuvre et que les négociations entre Etats membres semblent s'éterniser.

Une volonté, sauver l'euro

C'est bien de cela fondamentalement qu'il s'agit. L'objectif n'est pas de sauver la croissance. L'objectif n'est pas de sauver l'économie, mais bel et bien de sauver la monnaie unique, l'euro. Les propos tenus par Mario Draghi hier sont sans ambiguïté : "Comme je l'ai déjà dit, nous ferons tout ce qu'il faut et ce sera assez. L'euro est irréversible et les craintes sont infondées. Je répète, infondées ".

Le premier pari de la BCE est qu'en disant que les rachats sont illimités en montant, cette simple annonce coupera l'herbe sous le pied des spéculateurs. C'est une bonne nouvelle car cela peut fonctionner, même s'il est fort à parier que dans les prochaines semaines les marchés testeront la détermination des Européens. Est-ce que ce nouveau plan de la dernière chance peut réussir ?

Le principal écueil reste bien politique

Oui et non. Oui sur le court et moyen terme pour éviter l'explosion de la monnaie unique et la faillite d’États européens importants. Non sur le long terme, dans la mesure où le rachat d'obligations ne résoudra en aucun cas le problème fondamental de nos économies à savoir le manque de croissance, pour ne pas dire l'absence de croissance qui est un phénomène durable.

Mais cette décision sans nul doute permettra au système économique de tenir certainement quelques années de plus et nous pouvons imaginer un répit d'environ deux à trois ans. Cependant, pour que cela fonctionne, il faudra voir dans quelle mesure les "conditionnalités" imposées, disons-le clairement, par nos « amis » allemands seront dans leur détail acceptables par nos partenaires espagnols ou italiens.

Le principal écueil reste bien politique. Si les politiques de rigueur exigées sont trop drastiques, elles peuvent tout simplement politiquement être refusées. Dès lors, de fait, cela signifiera un retour aux monnaies nationales et de facto la reconfiguration de la zone euro. A court terme c'est le danger. A ce jour rien ne dit que l'orgueil ibérique pourra s'accommoder d'une mise sous tutelle de la Troïka (FMI, BCE, Union Européenne).

Y a-t-il des risques à mener une telle politique de création monétaire ?

Le risque majeur est celui bien évidemment de l'inflation, avec à terme, si le processus de création monétaire n'est pas maîtrisé, une hyperinflation qui peut s'avérer catastrophique aussi bien pour les finances des États que pour le pouvoir d'achat des ménages.

Il faut bien comprendre que, contrairement aux années 70 où la mondialisation n'existait pas, où les frontières protégeaient chaque économie nationale et où les salaires étaient indexés sur l'inflation, la situation a radicalement changé. Dans un monde ouvert, chaque point d'inflation en plus vient appauvrir d'autant les peuples dont les salaires n'évoluent plus ou très faiblement depuis maintenant plus de dix ans.

Peut-on maîtriser ces risques ?

C'est tout le pari qui est fait par les autorités monétaires, d'abord par la FED, la Banque Centrale Américaine qui s'est lancée depuis plusieurs années dans une politique dite de "quantitative Easing" désormais imitée par la BCE. Nombreux sont ceux qui pensent que nous entrons dans un monde d'inflation voire d'hyperinflation.

Les forces déflationnistes à l'œuvre restent très fortes. La mondialisation (les délocalisations), la démassification (le remplacement des "travailleurs" par des machines ou des ordinateurs), le désendettement, la baisse des actifs immobiliers, la baisse des actifs actions, le vieillissement mondial de la population, sans même parler de l'impact d'une explosion des dettes souveraines qui effacerait des milliards d'euros d'épargne pour ne citer que les plus importantes.

Il ne s'agit pas de trancher le débat hier mais de mettre en exergue le risque non nul de voir le monde occidental basculer dans une déflation sévère. Le mauvais remake des années 30 n'a pu être évité que grâce aux interventions massives des banques centrales. Un arrêt des Quantitative Easing pour permettre une maîtrise de la masse monétaire, des risques inflationnistes et des déficits aurait pour conséquence un retour du risque déflationniste.

Formule magique ?

C'est une tendance qui se matérialise clairement depuis le début de l'année 2012, notamment en Europe avec la mise en œuvre de plans de rigueur de plus en plus nombreux et aux États-Unis à travers l'épisode difficile du relèvement du plafond de la dette, ou encore des derniers chiffres macro économiques qui sont mauvais et montrent une dégradation forte de la conjoncture économique en l'absence d'injections monétaire supplémentaires.

Le pari des banques centrales peut donc être résumé par la formule suivante :

Beaucoup de création monétaire - de fortes pressions déflationnistes = une inflation un peu plus forte mais maîtrisée.

C'est un pari, et cela n'a jamais été tenté. Dans l'histoire économique du monde, quelle que soit l'époque, la création monétaire a toujours amené les monnaies vers une valeur proche de 0.

Création monétaire européenne sans limite mais pas sans règle

C'est toute la subtilité de ce qui a été annoncé hier par le Gouverneur de la Banque Centrale Européenne. Certes aucune limite de montant n'est fixée, pourtant, ce n'est pas pour autant un blanc sein et une autorisation pour faire n'importe quoi. D'abord la création monétaire viendra en accompagnement d'actions politiques dans les pays qui demanderont de l'aide. Pas d'austérité, pas d'aide. Le message est clair et limpide.

Ensuite, contrairement à ce qui a été fait précédemment, les chiffres seront communiqués pour certains toutes les semaines et pour d'autres mensuellement. Ce suivi permettra d'assurer une traçabilité quasiment en temps réel de la création monétaire en cours et là encore on reconnaît la main allemande. Enfin, Mario Draghi n'a pas souhaité baisser à nouveau les taux d'intérêt en insistant sur le niveau relativement élevé de l'inflation qui reste la priorité du mandat de son institution.

Pas assez d'argent gratuit

Je pense que s'il y avait une manière de sauver l'euro, sans tomber dans le risque de création monétaire excessive, c'est la bonne méthode qui a été trouvé. Nous pouvons nous en réjouir car c'est une bonne nouvelle, enfin. Néanmoins les marchés attendaient beaucoup, beaucoup plus "d'argent gratuit" et, lorsque l'on y regarde de plus près, rien ne dit que la stratégie annoncée hier par Mario Draghi sera suffisante à terme.

Elle a beau être juste et équilibrée, économiquement fondée, je crains que la BCE ne soit vite dépassée, sur sa droite par les marchés (qui détestent les conditions et les contreparties), et sur sa gauche par des politiques démagogues qui ne souhaiteront pas être les Premiers ministres, ou les Présidents de l'austérité. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y aura aucun moyen indolore de sortir de cette crise et que le chemin sera encore long.

À propos de l'auteur : Charles Sannat est directeur des études économiques d'AuCOFFRE.com, site spécialisé dans l'achat et la vente de pièces d'or en temps réel.

Charles Sannat