Les banques face aux Gafa

19 Avril 2017
Arthur de Catheu et Cédric Teissier



Depuis 2007, le monde post-crise de la finance a subi un nombre colossal de turbulences avec une réglementation de plus en plus stricte et l’entrée fracassante de nouveaux acteurs comme les Fintech et les GAFA (et bientôt les opérateurs télécoms). Tombée en disgrâce aux yeux du commun des mortels, la finance opère sa mue et fait agiter le chiffon rouge par toutes les cassandres du secteur qui prédisent haut et fort la fin des banques et la suprématie des géants du web. N’entendait-on pas parler « d’année charnière » deux ans plus tôt avec l’arrivée de Google sur le marché de l’assurance, désigné alors comme la « bête noire » par les grands groupes du secteur ? Le projet s’est finalement transformé en échec, même si Google n’exclue pas son prochain retour sur le devant de la scène assurantielle. Concrètement, il est difficile d’imaginer que les GAFA puissent prendre le monopole des services financiers quand on connaît l’étendue de la palette des services proposées par les banques. En revanche, ils ne se cachent pas de convoiter certaines activités bancaires spécifiques ...

Les GAFA, prochains rois des paiements ?

En première ligne, les paiements sont devenus aujourd’hui le terrain de chasse privilégié des GAFA. Tous s’engouffrent sur le créneau : Apple Pay, Google Wallet, … Facebook lui-même ne cesse de multiplier les initiatives. En octobre dernier, la Banque centrale d’Irlande a même donné à sa filiale Facebook Payments International Ltd l’agrément de prestataire de paiement et d'émetteur de monnaie électronique, valide dans tous les pays de l’Union Européenne. Et tout récemment, c’est Transferwise qui annonçait le lancement de son service de transfert d’argent au sein de Facebook Messenger depuis et vers certaines zones du monde comme l’Europe, les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et l’Australie. Le lancement d’une « Facebook Bank » sera-t-il le prochain pas ? Pas si sûr au vu des difficultés déjà rencontrées par le réseau social sur son service de paiements via Messenger, déjà lancé aux Etats-Unis depuis mars 2015. La digitalisation est partour pour le secteur financier.

Devant ce colosse aux pieds d’argile, la Fintech française Lydia n’a pas à rougir d’avoir réussi avec brio son pari de devenir une des applications de paiement mobile les plus performantes, mais la concurrence est rude, comme l’atteste le lancement ce mois-ci d’une nouvelle offre de paiement mobile sur Gmail, et les lignes sont rapidement mouvantes. Et les banques l’ont bien compris, préférant se rapprocher davantage des Fintech. Pourtant, les GAFA se verraient bien partenaires privilégiés des acteurs traditionnels. « Nous sommes, par notre capacité d'innovation et par les très nombreuses personnes qui utilisent nos plateformes, un partenaire stratégique de la transition digitale des banques », argumentait l’année dernière Laurent Solly, directeur de Facebook France.

Et à Nick Leeder, directeur de Google en France, de rassurer : « Nous n'avons pas du tout pour ambition d'empiéter sur le travail des banques ». Mais les rapprochements naturels s’effectuent dans les faits davantage avec les Fintech, alliés de choix pour les banques. « Pour résister à ce rouleau compresseur, banques, assurances et Fintech devront inéluctablement faire alliance pour contrer ces nouveaux entrants, à la force de frappe financière phénoménale », précise Stéphane Olmi, Managing Partner chez AEC Fintech. Le Groupe BPCE a ainsi racheté l’allemande Fidor, Goldman Sachs est devenu l'actionnaire majoritaire de Meilleurtaux.com tandis que Crédit Mutuel Arkea est entré au capital de la star de l’insurtech Fluo.

Une Europe remontée contre les GAFA

Aujourd’hui les craintes d’une prise de contrôle des géants du web transparaissent également à l’échelle européenne. En novembre dernier la Commission européenne annonçait la création d’une « Task Force on Financial Technology », un groupe de travail destiné à « suivre les évolutions ayant une incidence sur le secteur financier et au besoin d'élaborer des réponses appropriées », selon l’institution. Pratiques anticoncurrentielles, optimisation fiscale, remise en question de l’utilisation des données personnelles comptent parmi les nombreux griefs de l’Europe exprimés contre les géants américains du web. La nouvelle commissaire européenne en charge de la concurrence s’imposait l’année dernière de tenir tête aux mastodontes de la tech. Pour rappel, il y a bientôt un an, elle précipitait l’avancée d’une procédure d’enquête d’abus de position dominante concernant Google vieille de … 5 ans.
 
En vérité, le vieux continent redoute de voir les GAFA emboiter le pas d’un Alibaba, ce monstre du e-commerce devenu un géant de la finance notamment à travers sa filiale Ant Financial. Le mois dernier, cette dernière a mis la main sur MoneyGram International pour 880 millions de dollars, opération qui marque l'affaiblissement des acteurs traditionnels du transfert d'argent. Et le chinois ne cache pas ses ambitions internationales, concluant de multiples alliances à l’instar de celle avec Axa, en vue de développer et distribuer dans son réseau les produits de l’assureur français. Alors, même si l’Europe parvient à contrer les offensives des Gafa, parviendrait-elle à soutenir l’assaut prochain des BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) ? En tout cas, elle compte bien s’appuyer sur l’union des banques et des Fintech pour y parvenir. Tout récemment, la Commission européenne dévoilait en effet un plan d’action sur les services financiers aux consommateurs visant à supprimer les barrières nationales et « soutenir l'essor d'un monde numérique innovant capable de surmonter les obstacles au marché unique ». La Commission a également lancé une consultation publique sur les Fintech, présentées comme « la nouvelle frontière dans le domaine des services financiers ». La stratégie de l'Union européenne pour la Fintech devrait ainsi être dévoilée avant la fin de l'année. A suivre…

La bataille des Thermopyles aura-t-elle lieu ?

Face à cette horde de nouveaux entrants, il n’en demeure pas moins que les banques continuent à régner en maîtres sur leur territoire. Encore mieux, avec 23,5 milliards d’euros de profits cumulés, les six principaux groupes bancaires français affichent une rentabilité record depuis la crise de 2008. C’est sans compter sur la hausse annoncée des taux d’intérêts qui devrait redorer le coût du crédit et la santé des banques.
 
Mais internet, cette machine à créer des monopoles, ne laisse rien de marbre, et les changements de paradigmes sont bien souvent brutaux. Blockbuster vs. Netflix, AccorHotels vs. Airbnb, Uber vs. taxis, les exemples sont pléthoriques et donnent tous le vertige. En réalité, la bataille de la technologie et de la finance ne fait que commencer. Prédire qui sera le vainqueur revient à lire dans les feuilles de thé – chacun y va de son mot et de sa vision des choses. Mais il est clair que pour certains acteurs, qu’ils soient traditionnels ou dans la tech, la saveur sera corsée. 

A propos des auteurs : Arthur de Catheu et Cédric Teissier sont dirigeants fondateurs de Finexkap.

Arthur de Catheu et Cédric Teissier