Dans son nouveau livre Les limites du marché, l’économiste et homme politique Paul de Grauwe s’interroge sur le rapport de force entre marché et Etat. La crise financière et l’inégalité grandissante signifient-elles un nouveau tournant dans le rapport de force entre les deux entités ? Pour faire face aux changements climatiques, quelles solutions peuvent proposer les marchés et les gouvernements ? Entre idéologie et pragmatisme, il fait le point sur les tendances à venir.
Économie et société : Comment votre expérience d’homme politique vous a-t-elle influencé pour écrire ce livre ?
Paul De Grauwe : J’ai reçu une éducation économique. J’avais donc pleinement conscience des limites du marché et du fait qu’il faille une instance pour le réguler. Je savais également que la politique peine souvent à s’imposer devant des raisons économiques. Mais en étant moi-même politique, j’ai pu comprendre à quel point, il peut être difficile d’imposer une réglementation au marché. Comme parlementaire belge j’ai travaillé avec quelques collègues pour améliorer la gouvernance d’entreprise. Nous avions fait des propositions afin qu’elles soient adoptées au Parlement. Malheureusement, les grandes entreprises, qui étaient en contact direct avec le premier ministre, ont fait pression pour que ce sujet ne soit pas débattu.
Économie et société : Le sous-titre de votre livre s’intitule L’oscillation entre l’état et le capitalisme. Pensez-vous qu’il soit possible de trouver un équilibre ?
P. D. G. : En économie, la notion d’équilibre est très complexe et souvent difficile à trouver. Néanmoins, c’est quelque chose vers laquelle nous devons chercher à tendre. La situation est d’autant plus complexe que cet équilibre varie en fonction des secteurs : certains ont moins besoin de régulation que d’autres.
Économie et société : Le capitalisme crée des inégalités. Comment l’État peut-il intervenir pour corriger cela ?
P. D. G. : La fiscalité est le seul outil dont dispose les gouvernements. En mettant en place des impôts progressifs, il contribue à une meilleure répartition du capital. Si au niveau théorique cela paraît simple, sa mise en place divise beaucoup.
« Le scénario de Grexit refera surface à moyen terme »
« Le scénario de Grexit refera surface à moyen terme »
Économie et société : Le capitalisme peut-il survivre à une croissance zéro ?
P. D. G. : Par définition, ce système est fondé sur l’accumulation du capital. Ce qui repose donc sur de la croissance. Néanmoins, elle n’a pas forcément besoin d’être matérielle, elle peut prendre d’autres formes. Un capitalisme dans lequel la croissance matériel diminue mais celle des services augmente peut fonctionner. Le politique peut aider cette transition en favorisant par exemple les programmes de recherche.
Économie et société : La Banque centrale européenne (BCE) fait-elle de la politique ?
P. D. G. : Oui et non. Pour rappel, l’objectif de la BCE est de stabiliser les prix autour d’une inflation de 2 %. Ainsi, lorsqu’elle met en place des quantitatives easing elle agit dans le cadre de son mandat et ne fait donc pas de politique. On peut seulement regretter que cette politique monétaire ne soit pas accompagnée d’une politique budgétaire pour relancer l’économie. En revanche, le fait que la BCE fasse partie de la troïka et qu’elle ait fait pression pour que la Grèce accepte les conditions imposées par l’Europe est un acte politique. On ne peut que regretter un tel positionnement. Le passé a montré que les coupes budgétaires n’ont jamais sortie un pays en crise. Sans croissance, le poids de la dette est amené à augmenter. Le scénario de Grexit refera surface à moyen terme.