​Un marché du pétrole de nouveau sous tension

21 Avril 2023
Antoine Balduino



Début avril, l'Arabie saoudite, l'Irak, les Émirats arabes unis, le Koweït, le Kazakhstan, l'Algérie et Oman, ont annoncé des réductions combinées de la production de pétrole de plus de 1,1 million de barils par jour (b/j), surprenant les marchés. Cette décision fait suite à une 1ere baisse de production par ces mêmes pays, annoncée en octobre 2022. Elle s’ajoute au choix de la Russie de réduire sa production d'environ 500 000 b/j en réaction à la mise en œuvre d'une interdiction par l'UE des importations maritimes de pétrole et de produits pétroliers russes.

Une décision surprise… mais non sans fondement

Au total, les réductions représentent environ 3,7 % de la demande mondiale. Elles renforcent l’analyse de Coface selon laquelle les tensions sur les marchés pétroliers vont se poursuivre tout au long de 2023. Avec le retour d’un activisme des pays producteurs, la baisse tant attendue des cours a peu de chance de se produire malgré les incertitudes sur la croissance économique mondiale. Coface laisse ainsi inchangée sa prévision de volatilité sur le marché et d’un prix pour le Brent à 90$/baril en 2023.
 
L’annonce de la réduction de la production et son ampleur ont surpris alors que les responsables de l’OPEP+ avaient laissé entendre qu'aucun ajustement n'était nécessaire. Cependant, les motivations pouvant expliquer cette décision sont multiples.
  La réduction constitue "une mesure de précaution visant à soutenir la stabilité du marché pétrolier". L'OPEP+ estime en effet que les perspectives en termes de demande sont moins solides. Les récentes turbulences liées au secteur bancaire ont rappelé que l'environnement économique laisse peu de place à la complaisance. Coface partage ce point de vue et prévoit un ralentissement de la croissance du PIB mondial à 2% en 2023, après à 3,1% en 2022. Les cours du pétrole avaient significativement chuté. Ils ont atteint un point bas à plus de 48 % du pic de 139$ atteint après l'invasion russe en Ukraine. Cette mesure vise donc à faire remonter les prix alors que de nombreux producteurs de pétrole ne se sentent probablement pas à l'aise avec des prix en dessous de 80$. Cette décision vient rappeler la capacité du cartel à peser sur les prix à un moment où la croissance de la production des acteurs du pétrole de schiste américains est plus faible. Ceux-ci sont en effet touchés par le resserrement des conditions de crédits, une productivité déclinante dans des bassins de schiste vieillissants, ainsi que certaines pénuries de main-d'œuvre. Enfin, certaines tensions avec Washington au sujet de l’utilisation des stocks stratégiques de pétrole (SPR) ont aussi vu le jour. L'administration américaine a en effet ordonné un prélèvement sans précédent dans ces stocks pour contenir la hausse des cours après le déclenchement de la guerre en Ukraine et a récemment laissé entendre que la reconstitution de ces stocks prendrait plusieurs années.

Des tensions exacerbées qui ne sont pas sans risque

L'interdiction des importations maritimes de pétrole brut russe par l’UE avait déjà eu pour effet de maintenir les marchés pétroliers sous tension en dépit de la faiblesse de la demande. Cette tension est exacerbée et Coface prévoit désormais que les prix du pétrole resteront volatils, avec une fourchette de 90-110$ au cours du second semestre 2023. La décision de l'OPEP+ devrait également coïncider avec une reprise économique plus significative en Chine. La Chine étant un des premiers pays consommateur de pétrole dans le monde (environ 40 % de la consommation marginale entre 2000 et 2019), un rebond plus rapide et/ou plus fort de l’économie viendra encore resserrer l'équilibre entre l'offre et la demande, poussant les prix à la hausse.
 
Au niveau mondial, ces pressions à la hausse sur les prix du pétrole pourraient changer la donner pour les perspectives d'inflation. En effet, alors que la baisse des prix de l’énergie avait été l'un des principaux moteurs - sinon le seul - de la baisse de l’inflation dans les économies avancées ces derniers trimestres, la contribution devrait s’inverser au cours du second semestre 2023, ce qui pourrait à nouveau exercer une pression sur les taux d'inflation globaux.
 
La décision de l'OPEP+ met aussi en lumière le refroidissement des relations entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite. Joe Biden avait ainsi appelé le pays et les autres membres de l'OPEP à augmenter leur production afin de limiter les revenus de la Russie, qui contribuent à financer la guerre en Ukraine. La décision de réduction a ainsi été qualifiée d'inopportune par la Maison Blanche et marque une nouvelle étape dans la rupture entre les deux pays. Au-delà de la politique énergétique, l'administration américaine s'intéresse de près au renforcement des liens entre l'Arabie saoudite et la Chine, illustré par l'acceptation par le Royaume de rejoindre le Conseil de coopération de Shanghai en tant que « partenaire de dialogue ».
 
Cette annonce constitue toutefois une bonne nouvelle pour les compagnies pétrolières et gazières. Leur niveau de rentabilité, déjà solide, bénéficiera de la hausse des prix. Les compagnies occidentales ont ainsi enregistré des bénéfices de 219 milliards de dollars en 2022. Avec une prévision de 90$/baril, Coface s’attend à ce que leurs bénéfices atteignent environ 160 milliards de dollars en 2023.

Antoine Balduino