Le marché de la musique est associé aujourd’hui à deux grands paradoxes. Le premier est que l’on n’a sans doute jamais autant écouté de musique. Et pourtant, le marché de la musique enregistrée s’est effondré. Le second est que ce marché en crise se trouve à la pointe de l’expérimentation de nouveaux modèles de consommation et de nouveaux modèles économiques d’entreprise…
L’écoute de la musique stimulée par les nouvelles technologies…
Les nouvelles technologies ont profondément renouvelé la manière d’écouter de la musique. L’invention du walkman au milieu des années 1980 par Sony avait déjà ouvert la voie à une écoute nomade. La numérisation permet aujourd’hui d’écouter la musique sous toutes ses formes (titres, albums, radio, clips vidéo…), n’importe quand, n’importe où, dans son salon, sa voiture, devant son ordinateur, dans la rue…
La musique, devenue ubiquitaire, n’a jamais été aussi présente dans la vie quotidienne. Selon l’enquête Ipsos/France Soir réalisée en juin 2010, c’est encore la radio qui est la source d’accès à la musique le plus fréquemment utilisée (83 % des Français de 15 et plus déclarent écouter régulièrement de la musique à la radio). Le lecteur MP3 n’est encore utilisé pour écouter de la musique que par 36 % des Français, derrière l’ordinateur (43 %). Les jeunes, qui sont de loin ceux qui écoutent le plus de musique, ont cependant massivement basculé sur les nouveaux moyens d’écoute : 74 % des moins de 35 ans écoutent régulièrement de la musique sur Internet, 64 % sur leur lecteur MP3…
La musique, devenue ubiquitaire, n’a jamais été aussi présente dans la vie quotidienne. Selon l’enquête Ipsos/France Soir réalisée en juin 2010, c’est encore la radio qui est la source d’accès à la musique le plus fréquemment utilisée (83 % des Français de 15 et plus déclarent écouter régulièrement de la musique à la radio). Le lecteur MP3 n’est encore utilisé pour écouter de la musique que par 36 % des Français, derrière l’ordinateur (43 %). Les jeunes, qui sont de loin ceux qui écoutent le plus de musique, ont cependant massivement basculé sur les nouveaux moyens d’écoute : 74 % des moins de 35 ans écoutent régulièrement de la musique sur Internet, 64 % sur leur lecteur MP3…
… mais un marché qui s’effondre
Et pourtant… Le marché du disque connaît sans doute la pire crise de son histoire. Depuis 2003, en sept ans seulement, le marché a fondu de 60 % en valeur… Le DVD musical qui, pendant un temps, est venu à la rescousse du CD, plonge à son tour à partir de 2006. Cet effondrement du marché n’est pas propre à la France. Selon l’IFPI (l’association internationale des producteurs de musique), le marché mondial de la musique enregistrée aurait chuté de 55 % entre 2000 et 2009 (le Royaume Uni est l’un des rares grands pays consommateurs à avoir réussi à limiter les dégats).
La distribution est entraînée dans la chute. Les hypermarchés, qui détenaient 50 % du marché en 2003, se désengagent pour consacrer leurs précieux mètres carrés à des produits ou des services plus porteurs. Ils ne représentent plus aujourd’hui (selon les données de l’Observatoire de la musique) que 32 % du marché. Ce sont les grandes surfaces spécialisées (les Fnac, Virgin… mais aussi les Centres culturels Leclerc) qui en profitent, leur part de marché passant de 40 % en 2003 à 55 % en 2010. Mais le roi est nu… car la croissance de la part de marché est loin d’être suffisante pour compenser la baisse du marché. Et l’espace consacré à la musique dans les grandes surfaces spécialisées diminue régulièrement, ce qui, on s’en doute, n’est pas de nature à réveiller le désir d’acheter des CD.
Le peu de disquaires indépendants qui avaient survécu à la concentration de la distribution souffre… Et, tranquillement, les e-marchands du commerce électronique grignotent des parts de marché. Ils réalisent aujourd’hui 8 % des ventes, et davantage encore sur les marchés de niche que la profondeur de leur offre permet de mieux exploiter que les magasins (le e-commerce représente 13 % des ventes de musique classique et 11 % de jazz).
La distribution est entraînée dans la chute. Les hypermarchés, qui détenaient 50 % du marché en 2003, se désengagent pour consacrer leurs précieux mètres carrés à des produits ou des services plus porteurs. Ils ne représentent plus aujourd’hui (selon les données de l’Observatoire de la musique) que 32 % du marché. Ce sont les grandes surfaces spécialisées (les Fnac, Virgin… mais aussi les Centres culturels Leclerc) qui en profitent, leur part de marché passant de 40 % en 2003 à 55 % en 2010. Mais le roi est nu… car la croissance de la part de marché est loin d’être suffisante pour compenser la baisse du marché. Et l’espace consacré à la musique dans les grandes surfaces spécialisées diminue régulièrement, ce qui, on s’en doute, n’est pas de nature à réveiller le désir d’acheter des CD.
Le peu de disquaires indépendants qui avaient survécu à la concentration de la distribution souffre… Et, tranquillement, les e-marchands du commerce électronique grignotent des parts de marché. Ils réalisent aujourd’hui 8 % des ventes, et davantage encore sur les marchés de niche que la profondeur de leur offre permet de mieux exploiter que les magasins (le e-commerce représente 13 % des ventes de musique classique et 11 % de jazz).
Que s’est-il passé ?
On ne peut évidemment qu’être troublé entre la concomitance de l’effondrement du marché et l’arrivée d’Internet dans les foyers, la diffusion des fichiers MP3 et la progression du taux d’équipement en baladeurs numériques… Une large partie de la profession accuse le piratage et n’a eu de cesse d’œuvrer pour sa répression. La responsabilité du piratage dans la crise du disque – même si elle est difficile à chiffrer avec précision – semble peu contestable. Et si le piratage n’expliquait pas tout ?...
Cette crise n’est pas la première. Entre 1981 et 1986, les ventes d’albums avaient chuté de 40 %... sans qu’une quelconque forme de piratage puisse être mise en cause. Fort heureusement, l’arrivée du CD, qui a incité nombre de consommateurs à renouveler leur discothèque, a puissamment relancé le marché. L’engagement massif des grandes surfaces alimentaires sur ce qui apparaissait alors comme un marché porteur a contribué à doper le marché en travaillant des segments de clientèle moins acquis à la musique. Mais l’effet CD s’est progressivement épuisé…
Des voix se sont élevées dans la profession pour mettre en cause la politique des majors (qui représentent les trois quarts du marché) qui, avides de rentabilité à court terme, auraient précipité la chute du marché en multipliant les « coups » à grand renfort de dépenses marketing, en surexploitant le fond de catalogue par la multiplication des compilations… au détriment du travail de fond qui consiste à découvrir de jeunes talents et à construire patiemment des carrières d’artistes.
Cette crise n’est pas la première. Entre 1981 et 1986, les ventes d’albums avaient chuté de 40 %... sans qu’une quelconque forme de piratage puisse être mise en cause. Fort heureusement, l’arrivée du CD, qui a incité nombre de consommateurs à renouveler leur discothèque, a puissamment relancé le marché. L’engagement massif des grandes surfaces alimentaires sur ce qui apparaissait alors comme un marché porteur a contribué à doper le marché en travaillant des segments de clientèle moins acquis à la musique. Mais l’effet CD s’est progressivement épuisé…
Des voix se sont élevées dans la profession pour mettre en cause la politique des majors (qui représentent les trois quarts du marché) qui, avides de rentabilité à court terme, auraient précipité la chute du marché en multipliant les « coups » à grand renfort de dépenses marketing, en surexploitant le fond de catalogue par la multiplication des compilations… au détriment du travail de fond qui consiste à découvrir de jeunes talents et à construire patiemment des carrières d’artistes.
Le numérique commence à prendre le relais
Le remède est cependant en train de naître du mal… En effet, l’offre marchande de musique numérique décolle. Au plan mondial, les ventes ont augmenté de 13 % en 2009, et elle représente désormais environ un quart du marché total. Aux États-Unis, cette part flirte avec les 50 %. L'Europe est à la traîne. Et la France, plus encore. Selon les derniers chiffres de l'Observatoire de la musique, le numérique aurait atteint au premier semestre 2010 la barre symbolique de 10 % du marché de la musique enregistrée.
C’est encore peu, mais le marché croît au rythme de 25 à 30 % par an. Ce n’est pas encore assez pour retourner la tendance d’ensemble du marché, qui a accusé une nouvelle baisse de 3,9 % en valeur au premier semestre 2010. La récente mise en application de la loi dite HADOPI ainsi que le lancement de la carte musique sont susceptibles d'accélérer la tendance, d'autant que le marché de la musique numérique est désormais travaillé par de nouveaux poids lourds comme Orange et bientôt Google.
C’est encore peu, mais le marché croît au rythme de 25 à 30 % par an. Ce n’est pas encore assez pour retourner la tendance d’ensemble du marché, qui a accusé une nouvelle baisse de 3,9 % en valeur au premier semestre 2010. La récente mise en application de la loi dite HADOPI ainsi que le lancement de la carte musique sont susceptibles d'accélérer la tendance, d'autant que le marché de la musique numérique est désormais travaillé par de nouveaux poids lourds comme Orange et bientôt Google.
Une grande diversité de modèles économiques
Le développement du marché numérique est certainement aussi encouragé par la diversité des propositions de valeur offerte collectivement par les acteurs de l'offre. Trois grands modèles peuvent être identifiés : la vente à l'acte (iTunes, AmazonMP3, FnacMusic, Qobuz…), qui domine aujourd'hui largement le marché numérique, les Web radio, et le streaming (Deezer, Spotify…). La pénétration du streaming a été favorisée par un modèle initialement fondé sur la gratuité (le site se rémunère par les revenus publicitaires). Depuis la fin 2009, les offres par abonnement sont désormais disponibles et constituent une nouvelle voie de monétarisation. À la fin du premier semestre 2010, Deezer revendiquait 20 000 abonnements Premium.
Après l'entrée d'Orange à son capital durant l'été 2010, Deezer dispose d'un puissant levier de développement. Orange table sur 1 million d'abonnés d'ici fin 2011. Le développement du modèle du streaming est également porté par l'enrichissement de l'offre : les abonnés peuvent désormais écouter leur musique sur PC, tablettes, et téléphone mobile, en ligne mais aussi hors ligne. De nombreux projets sont en cours d’élaboration autour du « cloud computing » (les contenus culturels sont « localisés » sur des serveurs distants). La consommation de musique, définitivement dématérialisée, deviendra alors associée à la personne au lieu d’être attachée à une catégorie de terminaux de lecture.
Après l'entrée d'Orange à son capital durant l'été 2010, Deezer dispose d'un puissant levier de développement. Orange table sur 1 million d'abonnés d'ici fin 2011. Le développement du modèle du streaming est également porté par l'enrichissement de l'offre : les abonnés peuvent désormais écouter leur musique sur PC, tablettes, et téléphone mobile, en ligne mais aussi hors ligne. De nombreux projets sont en cours d’élaboration autour du « cloud computing » (les contenus culturels sont « localisés » sur des serveurs distants). La consommation de musique, définitivement dématérialisée, deviendra alors associée à la personne au lieu d’être attachée à une catégorie de terminaux de lecture.
La musique, fer de lance dans l'entrée dans l'économie de l’usage
La crise que traverse l'industrie musicale au travers de la dématérialisation du support s'accompagne d'une restructuration très profonde de la filière allant de l'artiste aux consommateurs, mais aussi des modèles économiques en usage. Le modèle traditionnel de l'industrie musicale était, comme ailleurs, la vente à l'unité de supports, supposant une transaction ponctuelle au cours de laquelle était transféré un droit de propriété. La rentabilité de l'ensemble des acteurs de la filière dépendait ainsi du nombre de supports vendus et de leur prix.
Ce modèle continu d'exister dans le numérique. C'est en apparence le modèle iTunes (en apparence seulement, puisque le modèle d'Apple est un modèle global fondé sur bouquet qui englobe la vente de terminaux et l'accès à une plate-forme de téléchargement multimédia). Mais l'offre numérique fait également émerger des modèles en rupture dans lesquelles ce qui est vendu est moins la propriété d'un bien que la satisfaction d'une fonction.
Dans ses formes les plus abouties, il s'agit d'offrir aux clients un accès à la musique sous toutes ses formes et toutes les modalités assorties d'une capacité de préconisation, d'informations, d’une participation à la vie d'une communauté... Le client ne paie pas pour devenir propriétaire d'un produit, mais accéder à un ensemble de ressources (à géométrie variable) permettant de satisfaire globalement un besoin (lui-même à géométrie variable).
On reconnaît ici une forme élaborée d'économie de l’usage, le modèle de l' « économie de la fonctionnalité ». Reste à évaluer le bilan écologique de ce nouveau modèle comparé au modèle de la vente à l'acte de supports physiques (et de toute la logistique qu'il implique). Il est peu douteux qu’il soit favorable.
Ce modèle continu d'exister dans le numérique. C'est en apparence le modèle iTunes (en apparence seulement, puisque le modèle d'Apple est un modèle global fondé sur bouquet qui englobe la vente de terminaux et l'accès à une plate-forme de téléchargement multimédia). Mais l'offre numérique fait également émerger des modèles en rupture dans lesquelles ce qui est vendu est moins la propriété d'un bien que la satisfaction d'une fonction.
Dans ses formes les plus abouties, il s'agit d'offrir aux clients un accès à la musique sous toutes ses formes et toutes les modalités assorties d'une capacité de préconisation, d'informations, d’une participation à la vie d'une communauté... Le client ne paie pas pour devenir propriétaire d'un produit, mais accéder à un ensemble de ressources (à géométrie variable) permettant de satisfaire globalement un besoin (lui-même à géométrie variable).
On reconnaît ici une forme élaborée d'économie de l’usage, le modèle de l' « économie de la fonctionnalité ». Reste à évaluer le bilan écologique de ce nouveau modèle comparé au modèle de la vente à l'acte de supports physiques (et de toute la logistique qu'il implique). Il est peu douteux qu’il soit favorable.
Une chance pour la diversité culturelle ?
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A priori, le basculement du marché de la musique vers le numérique fait tomber un certain nombre d'obstacles qui s’opposaient à la mise en avant de contenus musicaux et d'artistes à faible potentiel de vente (rareté des linéaires dans le commerce et d’espace dans les grands médias). De fait, la richesse de l'offre accessible en ligne est sans commune mesure avec ce qui est en mesure de proposer le plus grand magasin de produits culturels. Pourtant, les ventes de musique numérique reste concentrées sur un petit nombre de titres très « marketés ».
En outre, il est frappant de constater que le secteur de la distribution numérique de la musique, pourtant encore en phase d'émergence, est d'ores et déjà très concentré, et tend à se concentrer encore. Apple domine très largement le marché mondial. Seuls Amazon et Google semblent en mesure de le déstabiliser. En tout état de cause, le marché semble destiné à être dominé par une poignée d'acteurs de dimension mondiale, extérieurs à la filière musicale traditionnelle.
Ces poids-lourds disposent d'un fort pouvoir de négociation à l'égard des producteurs, même les Majors, avec lesquels elles sont capables de négocier un accès privilégié à leur catalogue. Les petits acteurs locaux (producteurs et distributeurs) sont nettement désavantagés et risquent donc d'être les victimes de la consolidation de ce secteur alors qu'ils assurent souvent un rôle important dans l'accès à la diversité culturelle, par la mise en ligne d’une l'offre plus confidentielle ainsi que par leur capacité de préconisation et d'animation de communautés.
À ce jour, les pouvoirs publics se sont surtout attachés à intervenir dans la filière musicale au travers de la répression du piratage. Il est sans doute temps qu'ils se préoccupent de la structuration du marché du numérique et veillent à ce qu'il y règne à la fois une concurrence effective assurant aux consommateurs l'accès à une offre de qualité à un coût raisonnable et sans risques de captivité excessive, ainsi qu’une véritable diversité profitant à la création artistique.
Professeur d’économie à l’Université Paris-Diderot, Philippe Moati est aussi directeur de recherche au Credoc. Ses recherches portent sur la compréhension des transformations du système productif. Il est un spécialiste de la distribution et des comportements de consommation.
En outre, il est frappant de constater que le secteur de la distribution numérique de la musique, pourtant encore en phase d'émergence, est d'ores et déjà très concentré, et tend à se concentrer encore. Apple domine très largement le marché mondial. Seuls Amazon et Google semblent en mesure de le déstabiliser. En tout état de cause, le marché semble destiné à être dominé par une poignée d'acteurs de dimension mondiale, extérieurs à la filière musicale traditionnelle.
Ces poids-lourds disposent d'un fort pouvoir de négociation à l'égard des producteurs, même les Majors, avec lesquels elles sont capables de négocier un accès privilégié à leur catalogue. Les petits acteurs locaux (producteurs et distributeurs) sont nettement désavantagés et risquent donc d'être les victimes de la consolidation de ce secteur alors qu'ils assurent souvent un rôle important dans l'accès à la diversité culturelle, par la mise en ligne d’une l'offre plus confidentielle ainsi que par leur capacité de préconisation et d'animation de communautés.
À ce jour, les pouvoirs publics se sont surtout attachés à intervenir dans la filière musicale au travers de la répression du piratage. Il est sans doute temps qu'ils se préoccupent de la structuration du marché du numérique et veillent à ce qu'il y règne à la fois une concurrence effective assurant aux consommateurs l'accès à une offre de qualité à un coût raisonnable et sans risques de captivité excessive, ainsi qu’une véritable diversité profitant à la création artistique.
Professeur d’économie à l’Université Paris-Diderot, Philippe Moati est aussi directeur de recherche au Credoc. Ses recherches portent sur la compréhension des transformations du système productif. Il est un spécialiste de la distribution et des comportements de consommation.
Pour aller plus loin :
- Les statistiques sur les ventes de CD et de musique numérique. Un état des lieux des sites de musique numérique.
- Mise en ligne prochaine de la synthèse de l’étude sur la prospective de la distribution physique de biens culturels que nous avons réalisée au Crédoc.
- Mise en ligne prochaine de la synthèse de l’étude sur la prospective de la distribution physique de biens culturels que nous avons réalisée au Crédoc.