" L’abondance est telle, famine enfin transmuée en satiété avant de redevenir famine, que, les magasins étant pleins ainsi que les entrepôts privés, l’on s’est mis à louer des reserres pour des sommes inouïes et apposer des écriteaux aux portes de la ville pour que les personnes qui en auraient à donner location fussent au courant, avec pour conséquence que, cette fois, ceux qui ont fait venir le blé vont s’arracher les cheveux de devoir à cause de sa profusion en baisser le prix, d’autant plus qu’on parle de l’arrivée prochaine d’une flotille de Hollande chargée de la même denrée, mais on apprendra que celle-ci fut attaquée par une scadre française presque à l’entrée du port et ainsi le prix qui allait baisser ne baisse pas, si besoin est l’on boutera le feu à un grenier ou deux et l’on fera aussitôt proclamer l’état de disette que le blé brûlé suscite déjà, alors que l’on croyait qu’il y en avait en su suffissance et même en abondance.
Ce sont là les mystères mercantiles qu’enseignent ceux du dehors et que découvrent ceux du dedans, encore qu’ordinairement ces derniers soient si stipudes, nous parlons des marchands, que jamais ils ne font venir de leur propres chef de marchandises en provenance d’autres nations et qu’ils se contentent de les acheter sur place aux étrangers qui se garnissent les poches de notre naïveté et en garnissent leurs coffres, achetant des prix que nous ne connaissons pas et revendant à d’autres que nous ne connaissons que trop bien, car nous les payons de notre vie et de notre peine."
José Saramago, Prix Nobel de littérature, Le Dieu manchot (1987)
Ce sont là les mystères mercantiles qu’enseignent ceux du dehors et que découvrent ceux du dedans, encore qu’ordinairement ces derniers soient si stipudes, nous parlons des marchands, que jamais ils ne font venir de leur propres chef de marchandises en provenance d’autres nations et qu’ils se contentent de les acheter sur place aux étrangers qui se garnissent les poches de notre naïveté et en garnissent leurs coffres, achetant des prix que nous ne connaissons pas et revendant à d’autres que nous ne connaissons que trop bien, car nous les payons de notre vie et de notre peine."
José Saramago, Prix Nobel de littérature, Le Dieu manchot (1987)