En début de semaine, le Wall Street Journal indiquait que le département de la Justice et la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) américaine enquêtaient sur au moins dix grandes banques pour manipulation présumée des prix des métaux précieux. L'enquête porte sur le processus de fixation des cours de l'or, de l'argent, du platine et du palladium à Londres. Les banques concernées seraient HSBC, Bank of Nova Scotia, Barclays, Crédit Suisse, Deutsche Bank, Goldman Sachs, J.P. Morgan, Société Générale, Standard Bank et UBS. Ce n’est pas la première fois que le rôle des banques dans ce processus est mis en cause. Les autorités suisses sont également en cours d’enquête. Cela soulève de nombreuses questions sur leur fiabilité et leur transparence. Jean-François Faure, fondateur du site AuCoffre.com, la première plateforme française de vente et achat de métaux précieux, revient pour nous sur les principaux enjeux de cet événement.
Économie et Société : De telles pratiques vous étonnent-elles ?
Jean-François Faure, fondateur du site AuCoffre.com
Jean-François Faure : Evidemment non. Elles n’étonnent aucun professionnel du secteur des métaux précieux. Les enjeux autour de l'or sont tellement énormes et nombreux qu'il est crucial pour les Etats de faire pression sur les institutions financières qui sont en charge de la tenue des cours. Le contrôle des prix de l'or (et à la marge de l'argent métal) est aussi vieux que l'usage de l'or comme monnaie officielle ou officieuse jusqu'en 1971, date à laquelle la convertibilité du dollar en or a cessé. Suite à cela, l'or est "entré en clandestinité" dans un rôle de monnaie qui ne dit pas son nom. Quasi monnaie puisque tous les grands Etats en détiennent des tonnes dans leurs coffres, comme réserve ultime de valeur, alors qu'en parallèle le FMI a voulu imposer ses DTS (Droits de Tirage Spéciaux) et interdire (depuis 1978) d'adosser une quelconque monnaie au métal jaune. Un tel paradoxe pousse par exemple la Chine et la Russie à renforcer massivement leurs positions sur l'or, voire directement à l'utiliser comme valeur d'échange avec certains de leurs partenaires, de manière à limiter leurs engagements sur des devises classiques et officielles telles que le dollar. En lisant l’Exchange Stabilization Fund du Trésor Américain, on comprend vite qu’ils ont toute la latitude nécessaire pour intervenir librement sur l’évolution des marchés, dont ceux de l'or et de l'argent métal.
Économie et Société : Quels sont les principaux enjeux de ces révélations ?
J.-F. F : Ces révélations servent à mettre un coup de projecteur sur des pratiques qui illustrent la collusion entre banques systémiques et Etats pour arranger les intérêts des uns et des autres. D’un côté, le cours de l'or doit baisser, spécifiquement en périodes critiques, pour éviter une fuite de capitaux de produits bancaires, plus ou moins structurés, vers de l'or qui ne rapporte rien aux banques. D’un autre point de vue, ces révélations nous font réfléchir à la place que tient l'or dans l'arbitrage global que peuvent faire les Etats et leurs banques centrales. Un cours de l'or durablement à la hausse détournerait par exemple les investisseurs des obligations d'Etat. Cette relation ambigüe d’amour et de haine des Etats pour l’or est donc partiellement révélée par ces scandales de manipulation.
« Un cours de l'or durablement à la hausse détournerait les investisseurs des obligations d'Etat »
Je reste par exemple interrogatif sur le cours de l'or qui a chuté la veille de la votation proposant aux Suisses d'adosser 20 % des actifs de leur Banque Centrale à de l'or. Quelques semaines avant, le oui était donné gagnant... Nous avions poussé le jeu très loin et avions interrogé les Français sur le même sujet avec l'IFOP. A presque 70 % les Français (non influencés) auraient répondu « oui » pour adosser les actifs de leur Banque Centrale à de l'or. Ce résultat éloquent prouve que tout est permis pour que l'or reste cantonné à son statut de relique barbare alors qu'en même temps il ne tient plus en place et une seule étincelle pourrait en libérer le cours et l'envoyer vers des valeurs stratosphériques. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la monnaie "open source", la monnaie "libre de droits", ce n'est pas le bitcoin (qui reste marginal) mais bel et bien l'or, véritable monnaie du peuple. Cette constatation a évidemment pour effet d’irriter fortement les Etats et les banques car c’est hors de leur contrôle.
Économie et Société : Quelles pourraient être les sanctions encourues par les banques impliquées ?
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J.-F. F : Sur ce point nous avons des exemples récents puisque la Barclays avait écopé en mai 2014 d'une amende de 26 millions de livres pour avoir lésé l'un de ses clients en manipulant le cours de l'or. Un autre exemple édifiant concerne UBS, qui fut condamnée également en 2014, à verser 774 millions de francs suisses pour avoir manipulé le marché des changes et des métaux précieux. De telles sommes peuvent paraître exorbitantes mais restent finalement dérisoires face aux 15 à 20 milliards de dollars d’or échangés sur les marchés quotidiennement.
Économie et Société : Quelles mesures prendre pour éviter que cela se reproduise ?
J.-F. F : Aucune mesure ne sera jamais efficace pour éviter les manipulations du cours de l'or. Même le nouveau système de fixation du prix de l'or porte en lui même, dans ses propres règles, les instruments permettant le contrôle du cours par les Etats. En revanche, les particuliers qui souhaitent limiter les impacts d'une telle manipulation peuvent arbitrer en achetant des produits en or moins sensibles au cours international. Ainsi, chez aucoffre.com on déconseille évidemment l'achat d'or papier, ces fameux titres tels que les ETF (Exchange Traded Funds) pour lesquels le sous-jacent en or physique est de l'ordre d'une part d'or physique pour cinquante parts globales. On déconseille aussi les lingots car même si leur contrepartie est évidemment physique, ils n'ont malheureusement aucune plus-value autre que l'or qu'ils contiennent et suivent donc strictement les mouvements du cours international. Aucoffre.com conseille spécifiquement de détenir de l'or sous forme de pièces de monnaies qui vont avoir la particularité de prendre une valeur ajoutée, appelée prime, en période de crise.
Cette prime va venir compenser les effets des manipulations de cours sous-jacents car elles vont traduire la réalité des échanges de gré à gré, la réalité de l'offre et de la demande. C'est ainsi qu'en pleine crise fin 2008 l'once d'or (donc les lingots) avait perdu en quinze jours l'équivalent de 20% alors qu'au même moment des pièces d'or telles que le Napoléon 20 Francs avaient pris 50% de prime. Encore mieux, les Demi-Napoléon et les Liberty américaines dépassaient les 80% de prime tellement la demande était supérieure à l’offre. Ce qu'il faut également retenir est le point suivant : le prix à payer par les Etats pour manipuler le cours de l'or est très élevé et généralement ils ne peuvent pas agir très longtemps. C'était justement le cas en 2008, où après la chute du mois d'octobre orchestrée sur deux semaines, on a connu ensuite une hausse quasi continue jusqu'en 2011.
Cette prime va venir compenser les effets des manipulations de cours sous-ja